Faut-il être fleur bleue pour voir la vie en rose ? - Théo Lemattre
Un roman comme un cri du cœur, une ode à l’espoir, rappelant que le vrai bonheur n’est pas matériel mais intangible. Il est en chacun. Le savoir ne suffit pas à le faire remonter à la surface mais ça donne une autre couleur à l’horizon. Non seulement ce récit est beau et drôle, mais il est aussi touchant, fort et plein de sens.
“Il n’y a rien de plus dangereux que de s’attaquer au moral, parce que c’est de cette façon qu’on brise quelqu’un et pour de bon. Le moral, c’est le système immunitaire mental. Sans lui, c’est comme si on devenait séropositif de la tête et qu’on absorbait tout le malheur du monde comme des éponges. On voit le verre à moitié vide, on brûle la vie par les deux bouts et on se promène avec un petit nuage noir au-dessus de la tête. C’est ça, la dépression.”
Il y a un tas de sujets latents dans cette lecture, comme une farandole de prises de conscience. J’ai navigué entre pincements au cœur et rire débile. Je ne m’attendais pas à ce qu’une comédie romantique me fasse pleurer et pourtant. Pourtant, j’ai été touchée à plusieurs reprises par les personnages et leur vécu.
“Une anomalie dans la matrice, une tarée, une bizarre que personne d’autre ne peut aimer.”
👥Clarence. Notre narratrice. Elle n'a pas sa langue dans sa poche, ni eu la vie facile. Son humour cache une fragilité dont on ne comprend l’ampleur qu’à la fin. Si je partage certains de ses ressentis, c'est surtout cette fragilité qui me la rend attachante. Son cynisme, nappé d’humour, met en avant un tas de choses sur notre société. Elle a réussi à me faire sourire - alors que ce n'est pas gagné ces temps-ci.
“Ta vie est l’exemple même d’un combat mené de front par une guerrière extraordinaire.”
👥Etienne. La cible. Ce fleuriste joyeux, bienveillant et qui semble toujours voir le côté positif. Je l’ai trouvé très authentique. Plus je le découvrais, plus je me disais que sa rencontre avec Clarence était une évidence. Il est touchant, autant au travers de son histoire que par son rapport aux autres et notamment à Clarence.
“Je donne des leçons que je ne suis pas capable d’appliquer. N’est-ce pas un peu le propre de l’être humain ? On passe notre temps à juger sans balayer devant notre propre porte.”
👥Clara. La meilleure amie. Elle ne paie pas de mine et pourtant, elle est pleine de surprises. Notamment avec l’un des retournements finaux qui m’a obligé à repenser à chacune de ses apparitions dans le récit - une raison pour m’offrir, un jour, une relecture ? - et à la voir d’un autre œil. Il y aurait tellement à dire sur elle mais elle mérite que vous la découvriez par vous-même.
“On ne peut pas savoir qu’on manque de quelque chose si on n’y a jamais goûté avant.”
👥Laurent, Marc, Simon, Germaine. Des personnages secondaires qui sont pourtant tout aussi réalistes que les principaux. J’ai apprécié qu’ils soient également travaillés. Ils sont un vrai plus dans cette histoire.
“On ne peut pas leur demander d’avoir du courage pour les autres : ils en ont à peine assez pour eux.”
📖L'entreprise pour laquelle Clarence bosse a une existence assez plausible pour faire froid dans le dos. Jusqu'à quelles extrémités notre société capitaliste serait-elle prête à aller pour se remplir les poches ? Regarde-t-on réellement les gens qui nous entourent ou se contente-t-on de les voir ?
“Ses activités sont : plonger le plus de personnes possible dans une dépression aussi profonde qu’inextricable.”
J’ai trouvé l’intrigue bien ficelée. Difficile de dire en quoi sans spoiler mais je peux au moins révéler que les pages se tournent avec avidité.
“Je le voyais, mais je ne l’avais jamais regardé.”
✒️Les flashback qui se pointent à des moments de suspense sont frustrants et en même temps tellement bien vu. Mon attention était aux aguets, j’étais tout autant curieuse de connaître le fin mots de l'élément de suspense en cours que de découvrir davantage le vécu de Clarence.
“Comme toujours dans ma vie, Marie, j’ai posé un genou à terre, mais jamais les deux.”
Beaucoup de passages ont trouvé écho en moi. Un peu comme si l’auteur les avait sortis de mon jardin secret. C’est déstabilisant mais aussi réconfortant. On se sent moins seule en réalisant que ces pensées sont partagées par d’autres.
“J’aurais mille fois préféré ne jamais tomber enceinte, ne jamais m’attacher, ne jamais développer de sentiment pour cet amas de cellules qui s’est finalement disloqué et a emporté une partie de mon âme avec lui.”
🥁Les chapitres courts donnent un bon rythme à cette lecture menée tambour battant. Le ton décalé et franc donne une lecture fluide.
“Offrir une tartine de phalanges à cette pétasse est tellement thérapeutique que ça devrait être remboursé par la sécu.”
(-) J’ai un peu tiqué sur les acronymes non définis. Je n’aime pas que ma compréhension dépende d’un navigateur internet pendant une lecture. Après tout, je lis aussi pour me détacher des écrans.
(+) Les références culturelles donnent un côté coloré à un récit décalé, c'est sympa. D’autant plus qu’elles sont parlantes, selon moi.
(-) Sauf erreur de ma part, le nom de la société, D&C, n'est pas redonné en entier dans le roman. Il est indiqué seulement dans le résumé : Dépression & Cie. Pour la part de lectorat qui ne lit pas les résumés - ou comme moi, le lis lors de l’ajout à la PAL mais ne le relis pas à sa sortie de celle-ci - ça peut être un peu déstabilisant, non ?
(+) Un humour plaisant. Un humour noir. Un humour agréable.
Ceux ayant lu ma chronique sur un certain recueil de nouvelles dites d’humour noir pourrait penser que je n’aime pas ce genre d’humour. C’est faux, j’apprécie cela. Toutefois, il arrive qu’il y ai des choses dites étiquetées “humour noir” qui a mes yeux ne sont pas drôle, juste noires. Il en était ainsi de ce recueil. Ici, le roman est vraiment drôle. Il prend notre société a rebrousse poil et j’ai adoré ça !
J’avoue avoir été tentée de m’essayer à l’humour noir pour rédigé cette chronique mais j’ai craint que ce soit mal interprété.
“Je suis certaine qu’elle me pisse dans le dos avec la puissance d’un karcher.”
Comment ne pas rire ?
“Comme on a tendance à si bien le dire, en France, « chacun sa merde ».”
Une lectrice traversant un épisode dépressif, en plein deuil, qui lit un roman sur la santé mentale, ça peut paraître ironique. Je sais. Mais cela ne fait-il pas de moi une personne bien placée pour dire que ce roman vaut le coup ? Alors, je vous le dis : ceci est un bon roman ! Il a comme un goût d’espoir.
Pour celles & ceux ayant lu mon avis de Match Love, du même auteur, vous vous souviendrez peut-être que j'y disais "La plume mérite de mûrir selon moi, un auteur qui me semble prometteur." Suite à cette nouvelle immersion au gré de cette plume, je confirme le côté prometteur. D'autant plus que j'ai le sentiment d'avoir été portée par un style plus mûr.
Lecture : mai 2024
Editions Prisma - 384 pages
Disponible en ebook et en broché dans toutes les bonnes libraires.
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